Mikhaïl Bogatyrev : Le néo-impressionnisme russe

RETROSPECTIVE MIKHAIL BOGATYREV (1924-1999)
DU 14 MARS AU 30 MAI 2009.

Le Néo-impressionnisme Russe Par Patrick Frémeaux

Parler de l’histoire récente de la peinture Russe oblige à la remettre dans son contexte socio-politique. Contrairement à l’idée communément répandue, la peinture n’a jamais été réellement un art gratuit synonyme de liberté, car son potentiel d’influence l’a toujours exposée aux pressions sinon aux oppressions de la culture, du culte, de la représentation, des croyances - et enfin, de son propre héritage.

De surcroît, la peinture russe du XXe siècle a été soumise à la plus prégnante des contraintes, celle de véhiculer officiellement l’imagerie populaire édictée par le régime soviétique.

L’artiste, considéré en occident comme un être libre, voué, sans la garantie de pouvoir en vivre, à matérialiser l’intimité de ses émotions sous la forme d’une œuvre d’art, était devenu en URSS un habile prestataire au service du pouvoir en place et un fabricant d’icônes politiques rétribué au prix du sacrifice de sa liberté.

Ainsi, à l’égal de Tamara Chilovskaïa dont la galerie Frémeaux & Associés a organisé en 2004 une exposition intitulée « Les Nus interdits », Mikhail Bogatyrev réalisa en secret une œuvre personnelle quasi-naturaliste de paysages sauvages parallèlement à une peinture officielle composée de tableaux reproduisant les grands chantiers, le monde ouvrier, et une infinité de portraits de Lénine donnant des conseils aux paysans, protégeant le peuple ou affirmant l’avenir radieux de l’URSS.

Le choix du naturalisme n’est pas innocent : en effet, les (mono) cultures officielles - beaucoup plus fortes que les cultures démocratiques - opposent fondamentalement culture à nature pour mieux stigmatiser un art coupable de témoigner en son sein de l’absence de l’homme, de son courage, de ses idées et de sa capacité à modifier le monde.

Les femmes nues dessinées par Tamara Chilovskaïa sont toutes aussi incompatibles avec la doctrine esthétique du régime que les paysages enneigés de Mikhail Bogatyrev qui, au regard du conformisme de l’exaltation pour l’homme nouveau, accordent une suprématie quasi-mystique à la lumière et à la nature.

La biographie officielle de Mikhail Bogatyrev fait état de nombreux voyages, distinctions honorifiques et expositions officielles. A la fin des années 1950, son œuvre se compose de séries de portraits d’artisans. Il voyage ensuite (milieu des années 1960) dans diverses régions de l’URSS dont il découvre les diversités naturelles.

En 1968, il fait partie de la délégation des artistes soviétiques pour une exposition en Tchécoslovaquie où il réalisa des portraits d’ouvriers. De retour dans la banlieue de Moscou, Bogatyrev intègre un Kolkhoze et prépare une exposition « la Terre et les Hommes » (« Land and People ») qui a fait l’objet d’une exposition en France en 1968.

Bogatyrev a été formé à la Memorial Art School de Moscou (1945) par des professeurs de renom comme V. N. Baksheev et S.G. Grigoryev. Il intégrera ensuite de 1950 à 1956 la Moscow State Art Institute où il a comme professeur P.V. Malkov, G.G. Korolev, et Vasili Efanov.

Dans le cadre de ses études, Mikhail Bogatyrev fit partie de plusieurs collectifs artistiques jusqu’à sa première grande exposition officielle à Moscou en 1975.

C’est en 1990 que le pianiste concertiste Edmond Rosenfeld, fondateur de trois galeries en France, décide de créer une grande galerie à Moscou au cœur même de la Maison centrale des artistes. Sollicité quotidiennement par de nombreux peintres ayant à cœur de le rencontrer personnellement, Edmond Rosenfeld, contacté par l’épouse de Mikhail Bogatyrev tient l’artiste pour décédé lorsqu’elle l’invite à inventorier son oeuvre dans son atelier de Moscou. Le quiproquo durera des années !

Bel et bien vivant à cette époque, le peintre - incarnation de la discrétion - vivait reclus dans une datcha, où il se consacrait à la peinture des paysages naturels depuis le début des années 1980 dans une tradition néo-impressionniste décalée de près d’un siècle avec les courants américains, canadiens et européens.

L’œuvre officielle de Mikhail Bogatyrev est répartie dans la plupart des musées nationaux de l’ex-URSS mais l’œuvre personnelle de l’artiste est présentée depuis une vingtaine d’années par la galerie les Oréades de Moscou et de grandes galeries européennes et américaines.

Cette œuvre quasi-écologique du Mikhail Bogatyrev paysagiste a été suffisamment préservée pour que la galerie Frémeaux & Associés puisse présenter aujourd’hui une rétrospective de quarante-huit tableaux historiques d’une qualité picturale indéniable.

Contrairement à la peinture réaliste socialiste qui relègue au second plan ce qu’il tient pour primordial, Bogatyrev, à la manière d’Albert Marquet dont il n’a sans doute jamais vu l’œuvre, travaille l’effet de la luminosité sur les milieux naturels ou habités en révélant cette qualité de transparence et de réverbération si particulière, propre aux pays froids, celle de « la Lumière du nord ».

Cet artiste anachronique affirme une démarche personnelle qui se joue de l’affirmation selon laquelle le contenu formerait le style et que, selon le dogme du réalisme-socialiste, la préoccupation picturale serait un problème indigne d’un homme qui pense.

La facture de Mikhail Bogatyrev ne cherche pas les effets de style et a pour seule finalité d’être efficace quant à l’impression et la sensation données par un paysage, à l’égal des plus grands maîtres (de Claude Monet aux impressionnistes américains et canadiens). Par la suppression des détails qui ne serviraient pas l’objectif de l’émotion, à partir de cette efficacité même, proche de l’ascétisme, le spectateur des œuvres de Mikhail Bogatyrev éprouve la sensation d’être en relation directe avec le paysage, celle qui génère l’envie irrésistible d’en pénétrer le mirage.

Hédoniste et volontaire dans une quête de la perception, le traitement pictural de Mikhail Bogatyrev s’il a pu être considéré un temps comme appartenant à une contre-histoire de l’esthétisme soviétique, trouve aujourd’hui sa véritable place, plus fondamentale, dans le cours de l’histoire de l’Art russe. Patrick Frémeaux (prononcer Michael Bogatirief)

Mikhail Bogatyrev was born in 1924 in the village Neskuchay of Kalinin region and died in 1999. In 1951 he finished the Moscow art school for invalids of the World War II. I. Gurvich, G. Tseitlin, D. Nalbandian were his teachers. Since 1952 M. Bogatyrev has taken part in regional, zonal and republican exhibitions. The special attention in the creative activity of M. Bogatyrev is given to a still life and landscape. Painting still-lives, he was interested in the essense of things themselves, materiality, density, volume, coloristic wealth, colour diversity of each subject. A manner of his painting differs by a courageous paint brush, sonorous colour, strict composition. His works are in the collections of some Russian museums, for example, in Kabardino-Balkansky museum of Fine Arts, Kalinin regional art gallery, and also in the private collections in Russia, USA, Germany, France, Italy, Japan.

Œuvres disponibles à la galerie Frémeaux & Associés SAS - 20, rue Robert Giraudineau 94300 Vincennes - Tél. 01 43 74 90 24 Métro : (100 m) Château de Vincennes - RER (100 m) Vincennes - Ouverture du mardi au samedi de 10h30 à 13h00 / 14h30 à 19h00